mardi 4 janvier 2011

Les huguenots du Diois sous Louis XIV : histoire d'un étranglement

Introduction du Mémoire de master II de l'université de Savoie sous la direction de Frédéric Meyer
par Pierre Muckensturm, septembre 2010.


Pierre est un de nos accompagnateurs. Il peut vous envoyer la totalité de son mémoire sur demande: p.mucken@free.fr

Ce mémoire a pour objet de rechercher les modalités de l’étranglement, ou de la tentative d’écrasement des communautés protestantes du sud Dauphiné et plus particulièrement du Diois, le Diois s'entendant au sens large, la partie drômoise du diocèse de Die (le Triève, qui faisait également partie de ce diocèse et qui comptait une importante communauté réformée a été étudié en détail par Pierre Bolle dans ses nombreuses publications, Cf. bibliographie).
Il n'a pas pour objet de ce placer spécifiquement du point de vue des protestants, d'analyser leurs stratégies de résistance, ou même leur héroïsme ou encore de faire leur martyrologe mais de recenser au niveau régional les acteurs principaux de la vaste offensive contre le protestantisme, que ce soient les pouvoirs institués civils, militaires ou religieux, ou des associations, comme la compagnie de la propagation de la Foi et avant elle celle du St esprit, ainsi que les méthodes qu’ils ont mis en œuvre pour venir à bout de la Réforme ou "d'extirper l'hérésie", comme le formule la compagnie de la propagation par exemple. Et ces pouvoirs sont nombreux, parfois concurrents mais souvent coordonnés, et leur imbrication peut parfois sembler inextricable.
Dans la hiérarchie des pouvoirs, nous commencerons par évoquer les intendants du Dauphiné, Pierre Cardin le Bret puis Etienne-Jean de Bouchu, puis les évêques, Daniel de Cosnac, évêque de Valence et de Die de 1650 à 1687 au premier chef, pour le rôle de premier plan qu'il a joué contre les huguenots : précurseur dans les destructions de temples, pourfendeur de protestants dans ses prestations lors des assemblées du clergé de France. A ce titre il est d'ailleurs considéré comme un des promoteurs de la Révocation.
Nous examinerons le rôle des cours de justice et plus précisément celui joué par le parlement de Grenoble, dont certains présidents (il y en avait jusqu'à dix au total) se sont illustrés par leur zèle anti-huguenot, puis celui des cours de justice secondaires : la justice mage de Die, la sénéchaussée de Crest et le Présidial de Valence, dont le rôle est en retrait par rapport à celui du Parlement de Grenoble, puis nous évoquerons tout particulièrement le rôle de la compagnie de la propagation de la Foi de Grenoble, coordinatrice de l’offensive tous azimuts et qui semble relier tous les pouvoirs précédemment cités : au moins deux des présidents du parlement de Grenoble en sont membres actifs, les chefs militaires n'ont visiblement pas grand chose à leur refuser, les assemblées se tiennent souvent chez et en présence du prince évêque de Grenoble et le réseau de la compagnie, rien qu'en Dauphiné est impressionnant, et il peut être relayé au besoin par celui des autres établissements de la compagnie, dans les villes les plus importantes du royaume. Et dans le cas précis du Diois la compagnie est informée dans les détails par son réseau de curés ou d'envoyés spéciaux sur les opportunités de conversions volontaires ou forcées , de la situation des enfants qui semblent vulnérables pour une conversion, dont elle organisera éventuellement l'enlèvement, et les occasions de promouvoir ou de récompenser des Nouveaux Convertis qui lui semblent méritants, le tout succédant à la période de destruction des temples pour lesquelles elle a joué un rôle occulte mais efficace.

Limites du sujet et méthodologie :

Même s'il n'y a pas a proprement parler de spécificité propre à la région de Die dans les stratégies des pouvoirs contre les huguenots, de même qu'il n'y a pas de spécificité proprement dioise dans le noyau protestant du Sud-Dauphiné, nous avons retenu l'ensemble Die - Crest - Bourdeaux en débordant parfois sur la région de Nyons comme entité géographique cohérente formant le sujet du mémoire, ce qui recoupe a peu près l’arrondissement de Die aujourd’hui, même si les limites géographiques du Diois historique sont assez floues (Bourdeaux y est parfois inclus et ailleurs on parlera du pays de Bourdeaux).
Ces limites ne tiennent pas seulement à la diffusion de la Réforme en bas Dauphiné mais également à la méthodologie de la recherche: les décisions importantes et les jugements concernant les huguenots du Diois sont essentiellement prises à Grenoble, les grandes affaires étant rarement de la compétence de la justice mage de Die ou de la Sénéchaussée de Crest.
Et la consultation de milliers de folios des procédures et jugements du Parlement de Grenoble, de dizaines de registres de la compagnie de la propagation de la Foi et de centaines de mandements de l'intendance du Dauphiné oblige à un travail de tri par origines géographiques des justiciables (que l'on pourrait appeler victimes dans le cas des sujets de la propagation) et ces origines ne sont pas toujours précisées, les instances grenobloises n'ayant pas de chambres séparées par entité territoriale.
Et de ces consultations il ne ressort pas de différence de traitement entre les communautés de Die, Crest, Bourdeaux et Dieulefit, toutes des places fortes de la réforme, les justiciables étant souvent constitués en groupes d’origine géographique variée, mélangeant les huguenots du bas Dauphiné.
Et ceci est cohérent avec ce que l'on sait de la vie des communautés de l'époque : les assemblées du désert des années 1683 - 1688, comme celle du camp de l'éternel dans la forêt de Saou (en août 1683), regroupent des protestants venant des quatre coins de la région. De même les groupes d’émigrants arrêtés dans l’actuel département de l’Isère et déférés devant la cour criminelle du parlement du Dauphiné sont souvent bigarrés : originaires de tout l’actuel département de la Drôme, mais qui se joignent souvent avec des huguenots de Gap ou de Veynes, voire du Languedoc ou du Montalbanais.
Ceci étant, la ville de Die est emblématique pour la Réforme française, elle a eu le privilège d’accueillir une des sept académies protestantes que comptait le royaume de France, active de 1604 à 1684, et au plus fort de la vitalité de la communauté réformée, à l’époque des visites pastorales de l’évêque Charles de Léberon en 1634[1], la communauté catholique de Die tenait toute entière sous le porche de la cathédrale.



Les acteurs :

Il est difficile dans le cadre d’un mémoire rédigé en un an d’être exhaustif sur tous les intervenants de l’offensive anti-protestante et de tous les aspects qu’elle a pris, et d’exploiter les très nombreux documents d’archive récoltés. Certains acteurs seront à peine évoqués, comme les jésuites de Die, dont le nombre et l’action sont surtout symboliques (ils n’étaient que deux pendant longtemps) et d’autres acteurs comme les Capucins seront ignorés, faute de temps pour traiter leur action comme elle le mériterait. Les aspects financiers de la lutte contre les protestants seront peu développés, bien qu’il y aurait sans doute suffisamment de données d’archives concernant la confiscation puis la mise en régie des biens des religionnaires pour consacrer un mémoire universitaire à ce seul sujet.
De même, comme il n’est pas possible de traiter de manière exhaustive l’action de l’ensemble des intendants de la province en matière de religion, nous avons choisi d’en privilégier deux, Pierre Cardin le Bret, qui en fonction à l’époque de l’édit de Fontainebleau, pendant les années cruciales de 1683 à 1686 et Etienne Jean Bouchu, souvent appelé de Bouchu, celui qui aura été le plus longtemps en poste, qui est également celui pour lequel il y a le plus de documents d’archives, et de loin.

Questions de terminologie :

Il n’est pas toujours évident de qualifier l’entreprise de démolition du protestantisme qui a eu lieu sous Louis XIV ; Le terme de persécutions anti-protestantes n’est pas trop fort, mais il diffère de celui qu’on a pu prendre envers des ethnies ou des groupes d’origine géographique précise : on n’a pas persécuté une ethnie, ni même une lignée ou une famille en tant que telle, mais une religion, ou l’opinion religieuse d’individus, qui sont rapidement à l’abri de la colère du pouvoir dès qu’ils donnent des signes suffisant de conversion à la R.C.A.R. et d’ailleurs la stratégie des pouvoirs vise souvent clairement à briser l’unité familiale, en encourageant les conversions séparées des enfants et des femmes.
Les autorités du Dauphiné, à presque tous les niveaux, ont systématiquement tenté d’éradiquer le protestantisme (ou la Réforme), par une grande variété de moyens, en commençant par s’en prendre aux symboles, les temples et les signes ostentatoires du culte, y compris à la tenue sacerdotale des pasteurs[2], puis les pressions se sont faites économiques par les interdictions professionnelles, se sont considérablement renforcées avec le logement des troupes, puis on s’en est pris aux enfants des religionnaires par un système élaboré qui mettait les mariages protestants hors la loi et permettait d’enlever à leurs parents pratiquement tous ceux que la compagnie de la propagation de la Foi décidait, le tout accompagné de prosélytisme et d’incitations économiques positives, maniant avec un égal bonheur la carotte en plus du bâton. Suit une vaste offensive judiciaire contre les personnes avec les arrestations d’émigrants puis avec les vagues de condamnations à mort ou aux galères pour assemblées clandestines des années 1688 et 1689, qui furent renouvelées plus tard. De fait, la collaboration de tous les pouvoirs institutionnels, civils, religieux et militaires à cette entreprise, l’ampleur de l’action touchant à quasiment tous les domaines de la vie a rendu impossible le statut de protestant. Cette interdiction n’est pas seulement théorique par l’Edit de Fontainebleau de 1685 (quoi que l’édit de Révocation laisse une réserve dans la formulation de son paragraphe final sur « les dits de la R.P.R. qui pourrons demeurer dans notre royaume »), elle est impossible de fait par la diligence ou le zèle de l’ensemble des pouvoirs locaux du Dauphiné, ne laissant le choix qu’à deux possibilités, un exil périlleux ou une conversion, rarement sincère au demeurant. On peut donc légitimement qualifier cette entreprise de tentative d’éradication systématique de la Réforme en Dauphiné.

Bornes chronologiques :

Il a été convenu que le mémoire s’inscrirait dans la période du règne personnel de Louis XIV, c'est-à-dire de 1661 à 1715, par souci de cohérence. Cependant des retours au début de l’épiscopat de Mgr De Cosnac à Valence s’imposent parfois (il obtient le poste en 1653) et la politique de la compagnie de la propagation de la Foi de Grenoble, un des principaux acteurs traités dans ce mémoire, connaît une continuité dans son combat contre la Réforme depuis les années 1650, aussi certains documents cités seront antérieurs à 1661. D’autre part les recherches sur l’action des caisses de conversion en Dauphiné, si elle mettent en évidence une grande activité dans les confiscations et les mises en régie des biens des religionnaires n’ont pas laissé apparaître de liste de N.C. stipendiés avant 1723, ce qui est en dehors de la période convenue.
Et, sans surprise, la plupart des documents d’archive que nous avons trouvé concernant l’accablement des huguenots dénotent une activité intense, allant crescendo du début du règne de Louis XIV jusqu’en 1689, la répression marquant ensuite le pas dès que les effets de la guerre de la ligue d’Augsbourg (de 1688 à 1697) se font sentir, au point que même les registres de la compagnie de la propagation sont moins prolixes après 1689, puis on note une légère reprise de l’activité anti-huguenote à la fin du 17° siècle, marquée par quelques nouveaux édits ou promulgations, et pendant la guerre de succession d’Espagne de 1701 à 1714 les protestants du Dauphiné connaissent un répit relatif.



[1] Eugène Arnaud, Histoire des protestants du Dauphiné, au XVIe, XVIIe , et XVIIIe siècle, en 3 volumes, volume 2 page 326, Mgr de Leberon dénombre 40 catholiques à Die.
[2] Par un arrêt royal du 30 juin 1664, conservé aux A.D. de la Drôme en série D 71.

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